Il n’y a pas si longtemps que cela j’étais contacté pour participer à un livre blanc collaboratif sur la veille et son avenir en 2011 (à paraître prochainement).
Pour différentes raisons, qui ne sont nullement l’objet de ce billet j’ai décliné cette invitation. Il n’empêche que le sujet m’intéresse et qu’il me semblait pertinent de prendre le temps de répondre à cette question.
Je ne suis nullement un devin, et je me considère encore moins comme un gourou, alors bien évidemment il faudra prendre ces prévisions pour ce qu’elles sont : ma vision, voire même mes envies ou mes illusions, de ce que pourrait devenir la veille en 2011 et soyons fous, peut-être même 2012.
1) Une veille attachée à créer de la valeur
La vision anglo-saxonne de la veille est rationaliste. Souvent basée sur les chiffres, les données factuelles et formelles que l’on peut extraire du Web ou de toute autre source d’information. Elle permet d’alimenter des bases de données internes, des Wikis, des Systèmes d’Information et d’Aide à la Décision au sens Business Intelligence du terme, et de procéder à des arbitrages essentiels pour l’entreprise : décision de rapprochement en vue d’un rachat ou fusion avec une autre entreprise, estimation des capacités de production nécessaires à mobiliser et particulièrement du couple quantité / prix le tout par zone géographique.
La veille dans les pays anglo-saxons c’est aussi la différence organisationnelle souvent nette entre « business analysts » et « information researchers ». Ainsi les « information researchers » permettent aux business analysts de lever certaines ombres liées à une problématique d’analyse marché spécifique. La création de valeur liée à l’analyse et aux arbitrages qu’elle permet de faire est ainsi une chaîne verticalisée dans laquelle le spécialiste de la recherche d’information a des savoirs faire bien spécifique qui lui permettent de cerner une demande d’information, de la mener à bien, et d’en communiquer les résultats sous une forme optimale. L’analyste connaît lui son marché, il a acquis une connaissance fine de ses mécanismes et de ses acteurs. Cette connaissance découlant de son acculturation et de son expérience dans le secteur lui permette de pleinement donner la valeur à l’information qui lui est apportée.
Le paysage français de la veille est désespérément vide de véritable chercheurs d’informations, de veilleurs haut de gamme. Les licences estampillées veille se font rare et tous les diplômés de 3ème cycle en intelligence économique visent d’être analystes ou stratèges mais nombre sont ceux qui rechignent à mettre le nez dans des outils. Ce n’est pas nouveau en France l’artisanat est sale. Le logiciel aussi. L’intellectualisation de la veille à laquelle on accole souvent le terme stratégique ou que l’on renomme en intelligence économique a creusé un gouffre entre l’information et ceux qui en ont besoin (les analystes et les stratèges). Les soldats de l’information, ceux qui vont la chercher en remontant les manches, ont déserté les rangs d’une armée dans laquelle les chefs se sont multipliés en se souciant peu de recruter les bons profils pour les aider à dessiner leurs cartes et peufiner leurs plans.
Rajoutons à cela le mythe de l’outil magique, productif, divinatoire et sémantique qui tournera dans une improbable autonomie qui n’existe que sur les powerpoints ou plaquettes commerciales qui prennent soin de gommer toutes traces de recrutement et toute évaluation des temps hommes.
Je crois, j’espère tout du moins, que 2012, 2013, voire plus si affinités, apporteront une revalorisation du rôle de l’ « information researcher ». Une revalorisation que l’on retrouvera dans le fonctionnement des processus collaboratifs et non dans une malsaine logique de sous-traitance ce qui est parfois la tare des systèmes CI à l’anglo-saxonne.
La veille est un art qui est un des points clés de l’intelligence économique. 2012 année de la veille?
2) Une veille structurée (enfin !)
Là encore regardons du côté anglo-saxon et recherchons des plateformes de veille ou des logiciels de veille. Des qui ressemblent à un Digimind ou à un Ami Software ou bien encore à des KIM (Arisem).
Ils sont rares…
On le sent, pour justifier du ROI de la veille, le Saint Graal qui ouvre les portes de l’augmentation salariale et du déblocage budgétaire, il nous faut des chiffres. Des chiffres sur les concurrents, des chiffres sur le marché.
A défaut de chiffres il nous faut une information que l’on peut traiter, voire mieux… comprendre, et le tout en s’accommodant d’une masse d’information qui n’a pas fini de nous déboussoler et de nous pousser à inventer de nouveaux outils de traitement de l’information plus productifs, plus « clairvoyants ».
Outre-Atlantique on parle de Web Scraping, ou bien encore de Web Harvesting. On a compris depuis fort longtemps que la collecte de documents textuels était une intellectualisation du business. Le petit plaisir qui revient à lire son journal le matin avec son café.
Il y a un autre signe qui ne trompe pas. Google nous donne le la.
Google Squared qui structure la donnée à la volée avec plus ou moins de succès, Google encore qui intègre les micro-formats permettant de structurer l’information à la source même. Dernièrement encore Google Refine.
Le RSS a montré clairemenent la puissance de la structuration et de la normalisation des informations. Et pourtant la structuration du RSS est légère. Imaginons nous la même chose mais avec plus de champs. Certes cela serait plus dur à mettre en place mais également beaucoup plus puissant.
Structurer les données de la veille, au plus près de la source, c’est s’assurer de son exploitabilité maximale. C’est également s’assurer de sa mobilité, de sa transmissibilité.
2012 sera l’année de la base de données pour la veille.
3) Une veille financée
Aujourd’hui beaucoup d’entreprises françaises ses sont essayées à la veille. Elles s’y sont essayées avec plus ou moins de succès.
Et comme beaucoup d’essais on y va sur la pointe des pieds. On jauge. On demande un investissement ridicule ou minime et on attend un ROI monstrueux.
Les coupables sont nombreux :
- Les institutions qui ont financé des projets d’une qualité plus que médiocre sans véritable analyse du besoin, et je pense en priorité aux projets que j’ai pu voir dans certains pôles de compétitivité souvent sous-dimensionnés pour répondre à une hétérogénéité de besoins, de typologies d’utilisateurs et des usages.
- Les « têtes d’affiche » de l’Intelligence Economique que j’entends régulièrement dire que l’intelligence économique et la veille ce sont des états d’esprit. Que l’on peut faire de la veille et de l’Intelligence Economique low cost. Oui on peut. On peut aussi essayer de faire le Paris Dakar avec une DS (la voiture pas la console…) On a toutefois peu de chances de gagner la course. On peut aussi recruter des bacs + 5 à 28 K € par an en leur demandant de parler 3 langues (mais 4 serait un plus), d’être des veilleurs en pointe et des analystes dans l’âme. On peut. Mais il est plus sûr qu’en faisant cela vous construisiez votre propre gibet en mettant au cœur de votre démarche des équipes potentiellement volatiles.
- Les formations qui mettent du Netvibes, du Google Alerts en avant sans offrir un autre éclairage des outils d’intelligence économique, de text mining, … et qui propagent le mythe du tout gratuit.
Non. L’intelligence économique cela demande des efforts et de l’argent. C’est un investissement et un investissement se construit dans le long terme.
Et si 2012 était l’année du vrai projet d’intelligence économique, de veille, construit, budgété, dimensionné, échelonné ?
4) Une veille reconnue
Et là plus qu’une vision c’est une information.
La norme AFNOR XP-X-50-053, norme expérimentale se fait vieillissante.
Dans les prochaines semaines de nouveaux écrits de l’AFNOR devraient voir le jour autour de la veille et de l’intelligence économique. Cela fait plus d’un an qu’ils sont en préparation.
Je ne peux m’empêcher de reconnaître que j’ai des doutes sur l’opposabilité et la reconnaissance de ces écrits mais la course acharnée que semblent se livrer Bernard Carayon, Hervé Séveno, et Olivier Buquen afin d’avoir le dernier mot pour savoir comment ils régenteront mieux une profession qui semble visiblement les inquiéter, pourrait bien trouver une issue dans la normalisation.
Année 2012 pour la veille : année de l’ordre ? Non… J’aimerais bien mais là sincèrement je n’y crois pas malheureusement.
5) Une veille ravivée
Les signes sont là. Ils ne peuvent plus être ignorés.
L’essaimage du rapport Martre a bien vécu mais les barrières à l’entrée établies de longue date commencent à céder.
La jeune génération ne s’en laisse plus compter quitte à blesser quelques égos trop longtemps ménagés.
Des 6 derniers mois les échanges ont été vifs.
Voir un Bernard Besson et un André Added de l’IFIE inviter les jeunes générations au dialogue, et simultanément se lancer en tant que Business Angel pour les jeunes pousses en intelligence économique. Fichtre. Je ne croyais pas voir cela de mon vivant.
Il ne nous manquera plus qu’à voir Hervé Séveno aussi inquiet de défendre les jeunes professionnels que d’être consulté par Olivier Buquent et peut être pourrons nous enfin dire que l’intelligence économique et que la veille ne sont pas qu’une invention générationnelle mais bien un outil au service des entreprises.
Année 2012, année du dialogue et du renouvellement pour la veille ET pour l’intelligence économique.
Que de vœux pieux. Que d’espoirs. Peut-être certains ne verront pas le jour en 2012. Peut-être me trompe-je également pour certaines d’entre elles.
Mais s’il y a une chose dont je suis convaincu à propos de la veille, c’est qu’il s’agit d’une fonction indispensable. Je suis également convaincu qu’il s’agit d’un travail de passionné. S’il est un métier dans lequel la formation continue prend tout son sens, c’est bien dans notre métier. Elle prend nos soirées, parfois nos week-end et l’information nous accompagne souvent où que nous soyons.
C’est un métier que j’exerce avec un plaisir ininterrompu depuis des années maintenant et qui m’a conduit à rencontrer des gens de grande valeur, certains ayant fait partie des premiers blogueurs tels que Christophe Deschamps ou que Christophe Asselin, d’autres beaucoup plus récemment diplômés, certains ayant même été mes étudiants et que je considère plus comme des amis aujourd’hui.
Tous on t ce goût de l’information. La plupart considèrent leur travail comme une source de découverte perpétuelle.
Ce que je souhaite à la veille c’est qu’elle continue à susciter les passions, et à créer les vocations, en 2012 et après.