Bernard Carayon : La France est en train d’ouvrir les yeux sur la mondialisation. Historiquement prisonnière d’approches idéologiques, elle s’absorbe avec délectation dans des querelles monopolisées par des minorités, éloignées de l’intérêt général : minorité très libérale décrivant l’ouverture totale des marchés comme le paradigme du bonheur et du progrès, occultant la résistance des nations au grand désordre mondial, généré, entre autres, par la circulation ininterrompue des hommes, des capitaux, des idées et des technologies ; minorité hétéroclite et frileuse, adepte du repli sur soi et de lignes Maginot sociales impossibles à financer. Comprenons-nous bien, pas plus qu’il n’était légitime de défendre Danone – qui n’appartient pas au périmètre stratégique de notre économie -, le patriotisme économique n’est destiné à l’équipe de France (de football par exemple).
Il vise l’« équipe France » dans son ensemble, celle des forces vives et des énergies politiques et économiques. Les sources de notre retard sont connues : contentieux historiques et sédimentés entre sphères publique et privée. Arrogance de l’« exception française » portée par nos « élites » ; charge de l’histoire dans des conceptions politiques oscillant entre la nostalgie du Grand Siècle et l’obsession de la repentance… sans compter la vision d’une génération marquée par le condominium américano-soviétique et restée binaire dans son appréhension du monde. Cette génération commence à comprendre que l’on peut être solidaire des Américains et des Anglais dans la lutte antiterroriste, mais que l’on peut ne pas être dupe de l’hypocrisie de nos grands concurrents quand ils imposent leurs valeurs, leur droit et règles de gouvernance mondiale, mais s’empressent de les contourner ou de les violer quand leurs intérêts nationaux sont en jeu !
Le patriotisme économique, nouvel horizon pour la France et l’Europe, repose sur trois principes. D’abord la volonté de lutter à armes égales avec nos partenaires et concurrents : cela suppose de nous doter des outils et d’une stratégie tirés de l’apprentissage de nos partenaires. Ensuite, promouvoir la transparence dans les relations économiques internationales pour nous donner les moyens d’identifier les méthodes déloyales utilisées par nos concurrents et qui altèrent notre compétitivité. Enfin développer l’éthique, le respect de la force du droit, le refus du droit de la force. Principe qui donne sa légitimité à notre action et son efficacité dans un contexte de rapports de force complexes. Le patriotisme économique c’est refuser, en somme, sur les marchés, toutes les formes de « dopages » !
Ceux, enfin, pour qui patriotisme rime avec nationalisme ou protectionnisme devraient conserver pour mémoire quelques vérités statistiques : la France accueille le plus d’investissements étrangers en Europe ; les Etats-Unis, parangon du libéralisme, se sont dotés d’une organisation et d’un arsenal législatif de soutien à leurs entreprises, et de protection, extrêmement efficaces (1). Mais le patriotisme économique n’est pas qu’une politique de compétitivité ou qu’une stratégie de puissance : c’est une politique sociale, l’amour de son pays, le refus du déclin annoncé, le désir d’une Europe, source d’équilibres mondiaux, fière de son identité. Pourquoi faudrait-il que ce sentiment anime tous nos concurrents à l’exception de nous seuls ? N’y a-t-il pas contradiction à supporter l’équipe de France de football et dénoncer dans le même temps ceux qui soutiennent « l’équipe France » dans son ensemble ? La mondialisation est un match où (presque) tous les coups sont permis. Le patriotisme économique est notre nouvelle aventure collective.
BERNARD CARAYON est député (UMP) du Tarn.
(1) Le Small Business Act, la loi Sarbanes-Oxley, l’amendement Exon-Florio, l’Advocacy Center, le Committee on Foreign Investments in the United States, les American Presence Posts…