Baisse de pertinence sous le poids des indices, procès pour « cybersquatting », fraude aux clics ou « blacklistage » sauvage : malgré un vrai succès économique, les moteurs de recherche sur Internet ont besoin d’un second souffle. C’est peut-être sur le terrain du « progrès scientifique » qu’ils pourraient se refaire une virginité.
Google fait en effet l’objet de travaux dépassant le cadre de l’Internet : largement diffusé parmi les chercheurs, intelligemment publié dans des revues primaires, son algorithme acquiert une aura qui renforce sa crédibilité. Le nouveau venu Accoona se place aussi sur ce terrain. Criant haut et fort que l’intelligence artificielle est l’avenir de la recherche sur Internet, il affiche sa différence scientifique. Tous deux exploiteraient-ils un nouveau filon marketing
Selon un article publié dans la très sérieuse revue « Physics » (1) au mois d’avril, Google serait un outil idéal pour mesurer… l’intérêt d’une découverte ! La démonstration peut se résumer brièvement. La communauté scientifique a pour pratique d’évaluer l’importance d’un travail publié par le nombre de citations dont il fait l’objet dans d’autres articles. Ce comptage manuel, qui aboutit à des indices, n’est pas infaillible : certains « papiers » majeurs ont pu être longtemps oubliés. Pour « déterrer » de telles perles, des chercheurs ont appliqué la formule du « PageRank » (ou PR) du moteur de recherche à la totalité des articles de « Physical Review » et de leurs citations pendant dix ans, représentée comme un réseau de « noeuds » et de « liens » (respectivement les articles et les citations entre articles). Or l’algorithme de Google semble plus puissant et plus adapté que la méthode classique. Par exemple, « Photon Correlations », de Roy Glauber, publié en 1963, se trouvait enfoui dans la littérature avec un indice de citation faible, alors qu’il a été couronné par un prix Nobel en 2005 ! Il vient d’être retrouvé grâce à son PR très élevé. Google pourrait ainsi devenir un nouvel outil très utile à la communauté scientifique pour ne rien laisser passer des travaux majeurs.
Accoona joue aussi la carte de la science, « pionnier dans l’usage de l’intelligence artificielle (IA) appliquée à la recherche d’information » selon ses dirigeants. L’IA concerne la sémantique. « Nous favorisons le sens des mots, ce qui rapproche notre système du cerveau humain », explique Steven Schwartz, « chief technology officer » d’Accoona. Le moteur essaie de comprendre la requête d’un internaute en considérant les mots clefs saisis, mais aussi en élargissant de lui-même aux mots apparentés, tels que synonymes, éponymes et autres antonymes…
Accoona s’est adjugé la collaboration des deux champions d’échecs russes Anatoli Karpov et Garry Kasparov pour développer et promouvoir sa technologie. « Je participe à la recherche en tant que testeur actif en soutien des équipes. Mon expérience des échecs, science où le raisonnement peut être parfaitement modélisé et en permanence affiné, est un atout précieux pour aider à traduire de façon formalisée les étapes d’un raisonnement », m’a confié Anatoli Karpov. Résultat, les liens relatifs aux mots apparentés sont affichés dès les premières pages. « De tels liens, bien que pertinents, n’apparaissent pas chez les autres moteurs de recherche ! »
Google, qui passe du rang d’outil de recherche à celui d’outil « pour la recherche » ; Accoona, qui crée une différence bien réelle par l’intelligence artificielle… La science, caractérisée par sa modestie, son désintéressement et sa remise en question permanente, est synonyme de progrès dans l’esprit commun. Le marketing scientifique façon Google et Accoona pourrait apporter à cette industrie un petit supplément de fraîcheur.
Michel Fantin est directeur de Tech & Co.
(1) « Finding Scientific Gems with Google », P. Chen, H. Xie, S. Maslov, S. Redner, « Physics »/0604.130,18 avril 2006.