Il dérange, le patriotisme économique. Pour avoir lancé ce concept il y a plus de trois ans, adossement de soixante-dix propositions constituant une politique d’intelligence économique, je me réjouis qu’il suscite un débat et même des caricatures, nécessairement au coeur de l’élection présidentielle : il soulève trois questions clés.
Qui sommes-nous ? Les citoyens d’une patrie avant d’être des producteurs et des consommateurs dont l’histoire relie des générations successives. L’État en garantit la pérennité, le politique en porte les valeurs depuis l’Antiquité. « Le patriotisme est l’amour des siens, le nationalisme, la haine des autres », résume Romain Gary. Le plus noble des sentiments collectifs est le plus ancien, le mieux partagé au monde. Moins en France où il s’exprime plutôt en faveur de footballeurs imposés en Suisse que dans la promotion de nos intérêts. « Ah les cons ! », comme disait Daladier de la foule qui l’accueillait au retour des accords de Munich… Intégristes du tout-marché et théoriciens d’un libéralisme de laboratoire se délectent du déclin de la France, se gargarisent de la fin des États-Nations. Complices ou naïfs, ces pacifistes nous emmènent à la guerre économique comme les officiers tsaristes poussaient à Tannenberg des moujiks armés de bâtons. Ils ont fait un trait sur la France et l’Europe-puissance.
Que voulons-nous ? La puissance, précisément. Puissance affranchissant des tutelles subies dans les secteurs stratégiques – énergie, défense, pharmacie, TIC, spatial. Puissance faisant respecter nos valeurs d’équilibre, de partage et d’humanisme. Puissance dénonçant les déloyautés de nos concurrents : interdiction d’OPA hostile au Japon, subventions publiques massives à Boeing et Bombardier, contournement de la convention OCDE sur la corruption, fabrication des classements internationaux. L’action publique a évolué : le sauvetage d’Alstom et l’OPA de Sanofi sur Aventis par l’action de Nicolas Sarkozy, ministre des Finances ; le lancement de la politique d’intelligence économique par Dominique de Villepin ; la reconnaissance par le commissaire Verheugen de l’étroitesse du marché communautaire. Avec Jean-Paul Fitoussi, je crois que « seule la plus grande des naïvetés»technocratiques* pourrait nous faire accroire que les questions de puissance et d’indépendance sont susceptibles d’être résolues par le marché ».
Ces questions sont résolues depuis longtemps par les Américains, dotés d’un arsenal extrêmement complet, associé à une présence commerciale agressive sur les marchés étrangers. Voilà le coeur du patriotisme économique : lutter à armes égales avec nos concurrents, exiger la réciprocité, comprendre, sans naïveté ni paranoïa, les ressorts nouveaux de la mondialisation, réunir expertises publiques et privées.
Que pouvons-nous ? Ce que nous voulons. Fluidité, réseaux et influence : le monde n’est plus une organisation hiérarchique où les plus gros sont les plus forts, les plus forts les mieux respectés. Réseaux technologiques et humains sont au coeur de bouleversements auxquels nous ne répondons en France que dans le désordre des idées et une timide action administrative, faute d’impulsion politique. Comme une incantation, on appelle de ses voeux un patriotisme économique communautaire.
Notre volonté politique ne peut être que continentale et appuyée sur des nations industrielles face à une Commission dont le credo de l’ouverture des marchés a freiné la constitution de groupes mondiaux à socle européen. Une Europe qui ne connaît pas ses frontières et oublie ses racines ne sait pas ce qu’elle est. Une Europe qui ne recherche pas son émancipation technologique, qui ne construit pas de stratégies industrielles, traite plus mal la Russie de Poutine que l’URSS de Brejnev, et qui ne se défend pas des prédateurs financiers mondiaux n’est décidément pas mûre pour un sentiment collectif qui s’apparente au simple bon sens. À la France de reprendre l’initiative.
Par Bernard Carayon (Député (UMP) du Tarn).
Source : Le Figaro – Le le 16 novembre 2006