La nouvelle plate-forme d’interception des services de renseignement devrait gérer 20 000 requêtes par an.
LE 2 MAI, en toute discrétion, entre les deux tours de l’élection présidentielle, le ministère de l’Intérieur a mis en place sa nouvelle plate-forme technique d’interception des données de connexion aux systèmes de communication. Qu’il s’agisse d’un appel sur mobile, d’un courriel envoyé par Internet ou d’un simple texto, les « grandes oreilles » de la République peuvent désormais savoir qui a contacté qui, où et quand. À ce stade de leurs enquêtes, les services ne s’intéressent pas à l’enregistrement des conversations ou au contenu des textes échangés qui doivent faire l’objet d’une demande classique (mais très contraignante) devant la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). C’est le « contenant » qui intéresse ici la police, la trace de la connexion qui témoigne du lien entre deux ou plusieurs personnes. Et il faut aller vite. Car les techniques modernes de communication n’ont plus de secret pour les terroristes en puissance. Les acteurs des réseaux changent très souvent de mobiles, se contactent entre eux depuis des cybercafés et s’envoient même des messages subliminaux dans les pages des sites Internet islamistes qu’ils consultent. Or, aussi étonnant que cela puisse paraître, la police ne peut, par exemple, capter en direct les textos que depuis quelques mois !
Grâce à ce centre technique situé dans les nouveaux locaux hypersécurisés des services de renseignement de la police nationale à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), les enquêteurs peuvent désormais se faire transmettre en un clic ou presque par les opérateurs de téléphonie la liste de tous les appels entrant et sortant sur l’ensemble des lignes de l’abonné, se faire communiquer ses documents d’inscription avec son adresse et ses coordonnées bancaires. Ils peuvent aussi exiger de connaître tous les sites Internet ou adresses de forum sur lesquels il a pu se connecter. Levallois est en fait un immense centre d’aiguillage. Et c’est l’Uclat (Unité de coordination de la lutte antiterroriste) qui l’administre. Car ces requêtes ne peuvent être formulées que par les services habilités (DST, DCRG, RG-PP, Sous-direction antiterroriste de la DCPJ et DGGN) pour « prévenir » les actes terroristes. C’est la conséquence logique de la loi Sarkozy du 23 janvier 2006 votée après les attentats de Londres.
Une dizaine de fonctionnaires des directions concernées collaborent dans cette cellule de Levallois placée sous le regard sourcilleux de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). La « personnalité qualifiée » de la police des polices qui effectue ce contrôle, avec quatre adjoints labellisés comme lui pour trois ans par la CNCIS, n’est autre que François Jaspart, l’ancien patron de la PJ parisienne. Depuis le 2 mai, Levallois a déjà traité 300 requêtes par semaine, issues aux deux tiers de la DST et des RG. La plate-forme devrait bientôt pouvoir absorber « 20 000 requêtes par an », estime un expert.
"Faire mieux pour moins cher"
De son côté, sans faire de bruit, la justice crée son propre système d’interception des SMS pour répondre aux réquisitions des juges d’instruction, mais aussi des parquets. Il pourrait être opérationnel dès juillet. Cette fois, les magistrats vont obtenir directement des opérateurs les contenus des messages. Et pas seulement dans les affaires de terrorisme. La Place Vendôme va créer en outre sa propre plate-forme nationale d’écoutes pour enregistrer les voix. Elle sera prête, fin 2008, début 2009. Objectif affiché : économiser 45 millions d’euros par an. « Derrière tous ces projets, il y a la volonté de l’État de faire mieux pour moins cher », assure un magistrat. Et, dans son esprit, mieux signifie encore plus d’écoutes et d’interceptions des données à caractère privé. Pour l’heure, la France n’est pas encore le pays de Big Brother. Le nombre des interceptions judiciaires dans l’Hexagone est 15 fois moins important qu’en Italie, 12 fois moins élevé qu’au Pays-Bas et 3 fois inférieur à celui de l’Allemagne. Le criminologue Alain Bauer met toutefois en garde : « Il faut se méfier de la tentation de la ligne Maginot électronique. Trop d’écoutes tue les écoutes. Nos amis Américains en ont fait la triste expérience en 2001 et depuis. »
Auteur : Jean-Marc Leclerc
Source : Le Figaro – Le 28 mai 2007